246.
Bah.
J'ai du mal à tout faire, ça arrive.
J'essaye, j'essaye. Là j'ai pas fini un truc urgent pour demain et mon directeur va pas être content. J'essaye. N'ai-je aucune ambition professionnelle? Non. Oui, pas encore 30 ans et je me demande comment y arriver, à cette retraite qui ressemble tant à un mirage. Cette terre promise.
Comment y arriver sans être usé par la vie, voilà qui me semble compliqué. Et, entre nous, les gars trentenaires: c'est rapé. Pour nous c'est mort, on raque pour la retraite des autres mais on aura rien. Faut biaiser. La retraite, c'est maintenant qu'il faut la prendre.
Attention, je ne suis pas une feignante. Je travaille même beaucoup. Trop. Parce que j'aime ça. Mais dès que ça m'ennuie, hop, je fais mes heures et c'est tout. Mon père est devenu diabétique à force de stresser, et moi ça me fait perdre mes cheveux. Faut se ménager. Doucement le matin, pas trop vite l'après midi, et on tient la distance.
A quoi sert une brillante carrière professionnelle si on est brûlé à 45 ans? Et d'abord, à quoi sert une brillante carrière tout court? Le but de la vie n'est-il pas d'être heureux? Faut-il absolument se sacrifier pour défendre une cause? Faut-il en baver plus qu'à l'envi pour mener un projet à bien?
Je ne crois pas non plus être futile. Au contraire, j'ai beaucoup réfléchi à tout ça, au travail, à l'effort, à ce qu'on y gagne et ce qu'on y perd. J'en ai conclu deux choses et vous avez du bol je vous les livre: L'énergie d'un homme (ou d'une femme) n'est pas infinie. On peut défendre des causes, se battre pour ce qu'on croit juste, faire ce que l'ont croit bien, mais il faut choisir très vite au risque de brasser de l'air. Oui, s'investir c'est bien. Mais on ne peut défendre la cause animale, celle des sans papiers, celle des sans abris, monter au créneau pour le bio, etc. sans le faire MAL. Et quand on fait mal quelquechose, on perd l'estime de soi. Ma conclusion, sur cette première chose: il faut choisir ce qui est le PLUS IMPORTANT pour soi avant de se lancer dans la bataille.
Faire des choix, maîtriser l'énergie qu'on dépense, et partager son temps.
L'autre chose que j'ai aprise, c'est que le temps d'un homme n'est pas infini non plus. Les gens disent: je finis ça, et j'arrive. Ou bien: dans quelques années, j'y penserais, pour l'instant je me consacre à... Je pense qu'ils ont tort. On peut TOUT faire à la fois! Et cela vaut mieux, parce qu'il faut durer. je veux mes amis, je veux découivrir sans cesse des nouvelles choses, je veuxretrouver les mêmes aussi, je veux TOUT. Et je croyais que ça n'était pas possible alors que, bêtement, il suffit de partager son temps. Alors voilà, je n'ai pas terminé ce que j'avais à faire, mais le temps imparti à cette partie de ma vie, "le travail", était écoulée. C'est cela, partager son temps, c'est dire non. C'est faire des choix.
Tout cela paraît très simple, il n'en est rien. La vie nous porte naturellement au non choix, et sans qu'on y prenne garde, on est emporté par des logiques étrangères de plan de carrière ou de vie de famille. Choisir, c'est difficile. C'est la liberté. C'est gagner son humanité. Et puis se donner une chance d'atteindre la retraite sain d'esprit! Voilà, ce soir ça a été difficile de laisser tout en plan et je fais le dos rond d'avance en pensant à la tête de mon directeur demain. J'ai un peu honte.
Mais je n'oublie pas les leçons de cette année à Lille: pour prendre soin de moi, il n'y a que moi.
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