89.

Hier je suis rentrée alors qu'il faisait nuit. Il fait froid à présent, et sortir la nuit veut dire mettre ses mains dans ses poches et rentrer la tête dans les épaules.

Nous rentrons dans l'hiver doucement, et lorsque je rentre chez moi des odeurs de froid et de frites m'assaillent. L'odeur de friterie l'hiver est bien particulière; je l'ai découverte en Belgique lorsque j'ai connu Pierre. Je l'ai aimée. C'est une autre manière d'approcher Noël. De dire: ici, pas de mandarines ou d'épices lourdes, pas de vin chaud ou de subterfuges olfactifs pour nous tromper honteusement. Juste le froid et les frites. De ce gras délicieux lorsqu'il est chaud et qui se fige et colle au palais lorsqu'il tiédit.

Hier je suis rentrée par cette rue longue, si longue qu'elle est comme la colonne vertébrale du quartier. Dans cette rue, on compte pas moins d'une qu'inzaine de bistrots, tous sur le même modèle. Vitrine à mi-hauteur avec un rideau de dentelle, porte ouverte où l'on entrapperçoit trois gars soudés au zinc et une patronne nonchalante essyant ses verres, une forte odeur de bière, deux chaises et trois gars qui fument leur clope à la porte en commentant le passage.

Ces gars je leur dit bonsoir tous les soirs. Ils sont rèches, ils sont gouailleurs, ils sont mateurs parfois, ils sont taquins, ils sont des hommes comme on en faisait du temps de nos pères. Pas de femmes au bar.

Entre deux de ces bars, il y a coincé là on ne sait pourquoi, un centre d'accueil Lesbien et Gay. Une vitrine décorée, du rose à foison, des bougies et des trucs bizarres sont affichés.

Hier soir les fumeurs étaient dehors, et entre les hommes du quartier se tenait la petite assemblée fumeuse gay et lesbienne.

Mon prof de fac disait souvent que la société c'est comme une vinaigrette: on secoue et on a l'impression que tout est mélangé, mais dès qu'on laisse reposer les éléments se séparent: l'huile, le vinaigre, la moutarde. Cette émulsion je l'ai vue, hier soir en rentrant. Mais cela ne m'a pas rendue triste de voir que les fumeurs ne se parlaient pas; je trouve ça déjà beau que la cohabitation se fasse sans heurts.

Comments

[Gann]

Hey!
Merci à toi Zech, pour ton appréciation sur mes écrits mais surtout parce qu'on dirait bien que tu partages mon goût pour les phrases choc de mon prof de fac!
Il en avait plein, ce qui le rendait irrésistible d'ailleurs. (Ouais les nanas sont con des fois).
Un truc qu'il disait des fois c'est: vous voulez vous rendre compte d'une société? Visitez son cimetière. Le rapport des vivants aux morts nous donne les clefs des rapports des vivants entre eux.

Ca a la classe hein? (même si je n'ai jamais su trop comment faire pour décrypter les rapports des vivants aux morts une fois passé la porte du cimetière)

[zech]

j'ai lu tout ton blog, j'aime beaucoup ce que tu écris. j'avais cru retenir ce que ton prof de fac disait à propos de la société, mais ma mémoire est courte, je suis donc revenu ce soir pour la graver définitivement dans mon esprit !

keep the faith!